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Quelques instants avec Phileas Lebesgue
- Cinéaste(s) : André MATRAT
- Année(s) : 1949
- Lieu(x) : La Neuville-Vault (60)
- Durée : 00:09:04
- Coloration : Noir & Blanc
- Format : Film 9,5 mm
- Son : Muet
- Genre : Documentaire
- Collection : Sylvie MATRAT
- Support(s) : 0171FN0003
Portrait de Phileas Lebesgue, réalisé par André Matrat, jeune instituteur.
Écrivain, poète, essayiste, traducteur et critique littéraire, Philéas Lebesgue a toujours vécu à la Neuville-Vault dans l’Oise.
Il quitte le collège de Beauvais à 16 ans pour cause de maladie, puis étudie seul.
Il collabore à de nombreuses revues. De 1896 à 1951, il est rédacteur au prestigieux "Mercure de France".
André Matrat, jeune instituteur à Beauvais, fait la connaissance de Philéas Lebesgue à la Neuville-Vault.
Cinéaste amateur, il décide de le filmer dans sa vie quotidienne et réalise en 1949 "Quelques instants avec Philéas Lebesgue".
Il contribue à le faire connaître dans le monde scolaire.
André Matrat fonde en 1986 le bulletin de la Société des amis de Philéas Lebesgue.
Cette archive nous permet aujourd’hui d’explorer et de révéler l’identité de cet écrivain hors norme, dissimulée sous l’apparence simple du paisible laboureur-paysan qu’on aimait tant lui attribuer.
Retranscription de la voix-off :
A 13km au nord-ouest de Beauvais, dans le pays Bray-picard, le petit village de ma Neuville-Vault éparpille ses quelques maisons parmi les haies et les herbages. A l'entrée du village, adossé à la colline, se dresse une très vieille demeure. C'est la ferme où Philéas Lebesgue a passé toute sa vie.
"Un matin du printemps de 1949, notre petite caméra d'amateur à main, nous sommes arrivés à la Neuville au moment où Philéas Lebesgue accompagnait sa petite-fille Thérèse jusqu'à l'école.
Tout contre l'école se trouve le cimetière et Philéas ne passait jamais devant sans pousser la grille pour aller se recueillir quelques instants sur la tombe de ses parents.
Depuis quelques années déjà, il ne participait plus aux travaux agricoles. Pour nous, il a bien voulu s'asseoir dans la cour et rebattre une faux.
Mais le temps n'étais pas si éloigné où il exploitait lui-même ses terres. Aujourd'hui, Rose dirige la ferme et continue la tâche ingrate et lourde.
Et puis commence la veillée près de l'âtre.
Marguerite attise le feu.
Rose joue avec le petit chat, ou surveille la cuisson de la soupe tandis que Philéas ramène une brindille égarée.
Le dernier repas du soir très simple consiste en un grand bol de lait fraichement trait. Toute la famille est attablée.
Le père au bout de la table. Rose et Marguerite, les deux filles du poète. Thérèse, la fille de Rose. Armand et Marcel, les fils de Marguerite.
Vers 11 heures, tout le monde allait se coucher sauf Philéas qui veillait toujours fort tard.
Le voici lisant des fables serbes, écrivant une chanson, répondant à de nombreuses lettres ou écrivant un article ou un poème.
Tel que fut l'homme, à la fin de sa vie, simple, d'une simplicité hors du commun, accueillant à tous, d'une bonté inlassable, avec tant de douceur dans la voix et tant de richesse intérieure que lorsqu'on l'écoutait parler, on se sentait devenir meilleur.
Retranscription du poème suivant :
“Je n’ai pris de leçon qu’aux oiseaux,
sous le vent de tuiles et de mon seuil, quand les troupeaux vont boire,
quand l’arbre tend les bras vers le soleil levant.
Je n’ai pris de leçon qu’aux branches en rêvant,
aux ruisseaux qui sentent bon, tout parfumés de menthe,
en agitant parmi les fleurs, leurs fins grelots.
Je connais des saisons, le rire et le sanglot,
je sais interpréter la musique charmante,
de l’anémone agreste et de la rose aimante,
du lilas ingénue, du lys penché sur l’eau.
Je sais ce que l’abeille enseigne,
et le mystère des astres,
inclinés chaque nuit vers la Terre,
a mis dans mon cœur lourd le goût de l’infini.
Attentif aux bruits sourds des heures qui s’écoulent,
je viens droit du courtil où paît le vieux cheval,
où la pomme mûrit,
où chante la fauvette,
où l’on cueille en rêvant la jeune violette,
j’apporte à mes souliers un peu du sol natal.
Faites de moi ce qu’il vous convient un pur symbole,
je suis le Pays d'Oise à vos yeux incarnés,
et cela vous émeut.
Mais hélas, ma parole sonne sans trop d'apprêt,
et je n’étais pas né de la gloire qui vibre aux carrefour des villes,
mais pour l’amour sans bruit des âmes peu serviles,
qui, dans un monde trouble, aveugle et tourmenté,
veulent goûter un peu de rêve, en liberté.
Je n’ai point de mépris pour les biens qu’on renomme,
je ne dédaigne rien des conquêtes de l’Homme,
et ne me flatte point,
quand tout flotte au hasard des convoitises,
d’avoir pris ma juste part.
Dans la calme retraite,
où le destin m'assigne de terminer mes jours,
voués aux durs labeurs,
il pourrait m’arriver de sentir froid au cœur,
si tant de mains, dont je ne sais si je suis digne,
ne tendaient vers mon front,
leur touchante ferveur.
Soit,
je serais la voix grave du Pays d’Oise,
il vous plaira de retrouver dans mon accent,
le frais parfum des fleurs du courtil,
le doux chant des mésanges,
le goût des pommes, des framboises,
qu’on allait dérober quand on était gamins,
et qu’on se déchirait aux ronces du chemin.
Pour vous,
j’évoquerai simplement tout à l’heure,
les souvenirs issus d’une chère demeure
en un village, où les parents ont travaillé
l’écho de la jeunesse, un instant réveillé.
Loin de la foire, et de ses cris et de ses prêches,
je serais le brin d’herbe entre les lèvres sèches,
je serais le vent pur des champs,
l’odeur des sèves,
le charme indéfini d’Héré,
loin des autos,
des calculs compliqués, et des riches manteaux.
Je serais loin des prospectus,
un peu de rêves,
tout ce que vous imaginerez de moins dur que le rythme des jours trop semblables,
l’azur qu’on entrevoit au bout du sentier sous les branches,
la fontaine des bois qui ne vaut pas le vin,
mais vers laquelle à bout de souffle l’on se penche.
Je serais le prétexte adorable et divin,
d’une fuite en esprit vers des choses très blanches,
et c’est assez pour moi, modeste paysan,
qui n’ait rien à donner que mon cœur frémissant.”